Vêtue d'un court gilet militaire, Ingrid Betancourt,
radieuse, descend l'escalier de l'avion, sur fond d'hymne national. Sous le ciel gris de Bogota, elle embrasse longuement sa mère, les yeux fermés. Les caméras filment cette image tant attendue.
Après six ans et quatre mois de captivité, la plus célèbre otage du monde a été libérée, mercredi 2 juillet au matin, par l'armée colombienne
Trois citoyens américains enlevés en 2003 et 11 militaires colombiens, capturés au combat – il y a dix ans, pour certains –, ont également retrouvé la liberté, au terme d'une incroyable opération militaire menée sans tirer un coup de feu : "Une opération impeccable, parfaite", a commenté Ingrid Betancourt.
Sur le tarmac, l'émotion s'installe. Ingrid embrasse ses amis, ses proches et l'ambassadeur de France, Jean-Michel Marlaud. Le diplomate lui tend un portable, probablement pour parler avec ses enfants, Mélanie et Lorenzo, à Paris. Les généraux présents et le ministre de la défense, Juan Manuel Santos, donnent l'accolade aux soldats et aux policiers libérés.
Dans le regard encore hagard de ces hommes qui ont passé des années dans la jungle, il y a plus d'incrédulité que de bonheur. Les Américains ne sont pas là : ils volent déjà vers les Etats-Unis. Ingrid Betancourt, sa mère, et les autres otages s'agenouillent quelques minutes pour prier en compagnie d'un prêtre venu les accueillir.
La Franco-Colombienne est amaigrie mais éblouissante. Ses longs cheveux tressés sur sa tête, son teint frais et la joie qui irradie son visage lui donnent l'air d'une adolescente en cavale. On en oublierait presque l'interminable épreuve qu'elle vient de traverser.
De sa voix claire, sans jamais trébucher sur les idées ou les mots, elle en parle avec simplicité et dignité. Devant les télévisions du pays, dans les cafés et les centres commerciaux, les Colombiens se figent, comme au soir des grands matches de football.
Quelques heures plus tôt, le ministre colombien de la défense avait annoncé au monde le succès de cette opération "sans précédent", digne du meilleur cinéma d'action américain. Sur la base des témoignages des otages libérés, les militaires ont réussi à localiser la guérilla, dans le département amazonien du Guaviare, dans le sud du pays. Puis ils l'ont infiltrée et trompée.
"DES PERSONNAGES SURRÉALISTES"
Une "organisation humanitaire" a proposé aux guérilleros d'assurer le déplacement des otages pour les remettre au nouveau chef suprême de l'organisation armée, Alfonso Cano. Les guérilleros qui en avaient la garde ont reçu ordre de réunir les 15 otages et de les livrer aux prétendus "humanitaires". Ingrid Betancourt raconte la suite.
Devant le micro installé au pied de l'avion, les militaires défilent d'abord. Ils disent merci à l'armée "qui ne les a jamais oubliés". Ils se disent fiers d'appartenir à l'institution militaire. Ils disent que la victoire contre les FARC est désormais assurée. Pas un mot personnel : ils semblent répéter une leçon bien apprise. L'un d'eux a sur l'épaule un drôle de petit écureuil rapporté de la forêt.
Puis c'est le tour d'Ingrid Betancourt. Elle prend son souffle : "J'ai tant attendu ce moment, j'espère que je vais pouvoir parler", dit-elle. Elle remercie d'abord Dieu et la vierge – qu'elle a "si souvent priés" au cours de son calvaire. Puis elle a un mot pour tous ceux qui l'ont accompagnée dans ses prières pendant toutes ces années. Elle le redit, émue, en français. Puis elle remercie avec effusion "l'armée de [sa] patrie" et le président Alvaro Uribe.
Elle raconte ensuite les détails de sa libération et comment elle-même a cru au subterfuge monté par l'armée. Lorsque les faux "humanitaires" – "des personnages surréalistes" – ont débarqué de leur hélicoptère blanc, Ingrid Betancourt s'étonne des sigles inconnus et des T-shirt à l'effigie de Che Guevara. Le découragement la prend à l'idée d'être transférée vers un autre campement. Les guérilleros font monter dans l'avion les otages menottés. Leur chef monte également.
"L'hélicoptère s'est envolé et, tout à coup, quelque chose s'est passé – je ne me suis pas bien rendu compte de quoi – et j'ai vu le commandant guérillero qui, pendant quatre ans avait été si cruel et si humiliant, je l'ai vu au sol, les yeux bandés (…) le chef de l'opération a dit : 'Nous sommes l'armée colombienne, vous êtes libres' et l'hélicoptère est presque tombé ! On a sauté, on a crié, on s'est embrassé, on pouvait pas le croire, c'est un miracle" .
Au fil de son récit, elle égrène ses émotions du jour et encore des remerciements : à ses compatriotes, à la France et aux Français, au président Chirac et à son ami Dominique de Villepin, à ses compagnons d'infortune – certains, dit-elle, lui ont sauvé la vie – et aux médias. " Vous, les médias, nous avez tant aidés ", dit Ingrid Betancourt aux journalistes. La radio est le seul contact des otages avec le monde extérieur. Elle conclut son intervention en évoquant la mémoire de tous ses compagnons d'infortune morts en captivité.
Les questions fusent. Ingrid Betancourt y répond avec grâce, parfois avec humour. Oui, elle a souhaité que l'armée tente un coup de force. " Face à l'enlèvement, c'est un moindre mal", explique-t-elle. Sa famille s'était farouchement opposée à un éventuel raid de l'armée. Que porte l'ex-otage dans son sac à dos ? Un dictionnaire, des lettres qu'elle espérait faire parvenir à a famille et "des bidules". Dans la jungle, on a si peu de choses que " tout devient important".
Regrette-t-elle ce jour fatal de février 2003 où, candidate à la présidence de la République, elle a décidé de prendre la route contre l'avis de l'armée ? Ingrid rappelle son engagement politique de l'époque et évoque l'idée de destin. "Si c'était à refaire, je le referais", conclut-elle.
Vise-t-elle encore la présidence de la République ? Ingrid crée à nouveau la surprise. Elle défend la réélection du président Alvaro Uribe qui a donné une continuité à la lutte contre les FARC. "Pour le moment, je ne suis qu'un soldat de mon pays au service de la paix", conclut-elle. "C'est une grande dame et une grande politique qui nous est revenus de la fôret", pointe l'analyste Laura Gil.
Le soir, Ingrid Betancourt et les 11 militaires libérés sont reçus au palais présidentiel. En leur compagnie et entouré de tous les ministres, Alvaro Uribe donne une brève conférence de presse. Il félicite les militaires, les "héros du jour". Il souligne qu'aucun coup de feu n'a été tiré au cours de la libération des otages, alors que l'armée aurait pu abattre une soixantaine de guérilleros complètement encerclés. Il réitère la disposition de son gouvernement à négocier la paix.
"Ma liberté
est un miracle", lui dit Ingrid
Betancourt. "Un miracle de Dieu, aidé par l'armée colombienne", précise le président. "C'est bien ça", conclut l'ex-otage.
Source:http://www.lemonde.fr/
Ingrid Betancourt "aspire toujours" à
la présidence colombienne BOGOTA - Ingrid Betancourt a déclaré qu'elle aspirait toujours à "servir la Colombie comme présidente",
quelques heures à peine après sa libération, avant de remercier la France pour son soutien.
La Franco-colombienne, retenue en otage par les FARC pendant plus de six ans, a déclaré que la réélection du président Alvaro Uribe en 2006 à la tête de la Colombie était "très bonne pour la Colombie". Elle a expliqué avoir constaté, pendant ses années de captivité dans la jungle, que le renforcement militaire promu par le chef de l'Etat avait fortement contribué à affaiblir ses ravisseurs.
L'ancienne otage était en campagne pour la présidence lorsqu'elle a été enlevée en 2002 par les Forces armées révolutionnaires de Colombie. S'exprimant lors d'une conférence de presse, elle a assuré qu'Alvaro Uribe était "un très bon président" mais qu'elle "continuait d'aspirer à servir la Colombie comme présidente". Pour le moment, a-t-elle souligné, "je ne suis qu'un soldat de plus".
S'exprimant par ailleurs en français, Ingrid Betancourt a remercié la France, où elle "rêve" de se rendre bientôt, ainsi que les présidents Nicolas Sarkozy et Jacques Chirac, et l'ancien Premier ministre Dominique de Villepin.
"Je vous remercie du temps que vous m'avez consacré, je vous remercie des luttes que vous avez donné en ma défense", a-t-elle lancé à l'adresse de la population française, assurant: "je vais être très vite avec vous,je rêve d'être en France".
"Je veux aussi, à travers vous, dire merci au président Sarkozy qui a tant lutté pour moi avec ma famille" et "remercier le président Chirac qui nous a tendu la main dans les moments où lutter pour les otages en Colombie était politiquement inconvenant", a-t-elle rappelé.
"Je voudrais aussi dire merci à mon ami Dominique de Villepin, à sa femme Marie-Laure que je porte dans mon affection, dans mon coeur, parce que sais qu'ils ont été avec ma famille et avec moi pendant toutes ces années", a-t-elle poursuivi.
"Je suis colombienne mais je suis française, mon coeur est partagé", a-t-elle résumé. "Je vous aime. Vous êtes avec moi, je vous porte dans mon sang (...) Merci la France".
La nouvelle femme libre a toutefois appelé à ne pas oublier les autres nombreux otages. "La paix doit être atteinte avec la promesse qu'il n'y aura plus d'enlèvements (...) Tout le monde doit sentir que cette union nationale va nous aider à tous les ramener sains et saufs".
"Que cet instant de bonheur ne nous fasse pas oublier les autres qui sont morts", a-t-elle souhaité.
Interrogée sur les tentatives de médiation des présidents vénézuélien et équatorien Hugo Chavez et Rafael Correa, Ingrid Betancourt a estimé qu'ils étaient "des alliés importants dans le cadre de ce processus, mais à une condition: le respect de la démocratie colombienne. Les Colombiens ont élu Alvaro Uribe, les Colombiens n'ont pas élu les FARC".
Concernant les gardes chargés de la surveiller, elle et les autres otages, quand l'armée colombienne les a repris, l'ex-prisonnière a espéré qu'"ils restent en vie et ne soient pas injustement accusés de ce qui s'est passé".