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Tchad, Berceau De L'humanité

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24 septembre 2008 3 24 /09 /septembre /2008 12:48


Vincent Hugeux, grand reporter à L'Express, est au Tchad, où se sont déployées les forces européennes de l'Eufor, qui ont pour mission de protéger les populations. Pour LEXPRESS.fr, il raconte son périple. Deuxième épisode à Goz Beïda, à 75 kilomètres de la frontière soudanaise
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L'Antonov-24 qui vient de balafrer de ses pneus usés jusqu'à la corde l'ocre de la piste de Goz Beïda doit être contemporain de Leonid Brejnev, voire de Nikita Khrouchtchev. Quant à son équipage, aussi russe que possible, il allie l'embonpoint du premier à la bonhommie du second. Un bataillon de l'Eufor, irlandais pour l'essentiel, veille sur la quiétude de cette bourgade fanée, alanguie à 200 kilomètres à l'ouest d'Abéché et à 75 bornes de la frontière soudanaise. Quant au camp Ciara, il doit son appellation au prénom de la fille du commandant des lieux, le colonel Patrick -c'est bien le moins- McDaniel.

Trompeuse tranquillité. Voilà cent jours, Goz Beïda fut le théâtre d'accrochages aussi brefs qu'intenses entre l'Armée régulière (ANT) et les rebelles de l'Alliance nationale, venus du Darfour soudanais en une longue colonne de pick-ups équipés de mitrailleuses. C'est que la route de N'Djamena passe par la cité du Dar Sila. Le 14 juin, les insurgés nordistes du général Mahamat Nouri auraient fort bien pu la contourner, conformément au modus operandi habituel. Mais ils cèdent alors à la tentation d'occuper, le temps d'un tour d'horloge, une ville désertée par l'ANT. Quitte à se heurter au contingent de la Verte Erin. Lequel, aguerri par ses campagnes antérieures au Liban, au Liberia ou en Erythrée, verrouille l'accès au camp de réfugiés voisin de Djabal. Menacés un temps par les feux croisés des belligérants, les hommes de McDaniel ripostent vigoureusement aux tirs de roquette des assaillants, tandis qu'une section néerlandaise évacue les agents humanitaires du champ de bataille.

Las, dans le sillage de la rébellion, des bandes de malfrats pillent deux entrepôts -nattes, bâches et moustiquaires-, incendient un garage et s'emparent de quelques véhicules. Fâcheuses bavures? Prompt à formuler ses "regrets face à l'épreuve subie", le général Nouri met à la disposition des ONG deux numéros de téléphones satellitaires, histoire de "leur faciliter la tâche". Mieux, il déplore l'escarmouche avec la Force européenne, dont les soldats sont "les bienvenus". On ose à peine imaginer ce qui serait advenu s'ils ne l'étaient pas.

Depuis, les Irlandais patrouillent comme si de rien n'était, à pied comme à bord de blindés puissamment armés. Mais jamais ils ne franchissent le seuil du camp de Djabal, où ont échoué 16800 réfugiés soudanais d'ethnies four, masalit et dajo. Le mandat de l'Eufor ne le leur permet pas. Ce lundi, le convoi made in Ireland croise une escouade de policiers tchadiens vêtus de neuf, emmenés par un instructeur ivoirien de la Minurcat, l'acronyme de la très embryonnaire Mission des Nations unies en République centrafricaine et au Tchad. Il s'agit du noyau du Détachement intégré de sécurité (DIS), censé opérer sous peu dans l'enceinte des camps. Quand? Mystère. On attend, pour amorcer le déploiement des 300 vigiles d'ores et déjà formés, que le président Idriss Déby Itno daigne signer le décret requis. "Le temps presse, concède le lieutenant abidjanais Hermann Yatte. A l'approche de la fin du ramadan, l'argent circule. Gare aux brigands."

A l'entrée de Djabal, il faut montrer patte blanche aux agents de la Commission nationale d'accueil et de réinsertion des réfugiés (CNAR). Suit une visite guidée de l'immense campement de toukouls, huttes de torchis coiffées d'un toit de paille conique, sous la conduite d'Eva, la protection officer du HCR, le Haut-Commissariat pour les réfugiés. Dans le genre, on a vu pire. Référence au camp bien sûr, et non à notre cornac, mélange de grâce et d'énergie. De larges allées, des parcelles ceintes de branchages et, ça et là, de petits jardins potagers. Le tout divisé en 24 blocs, dotés chacun de deux chefs, un homme et une femme.

Sous un auvent, Zilekha apaise les pleurs de son dernier-né Abdulhalim, le huitième de la fratrie. L'aîné, 18 ans, a trouvé un peu de boulot à Abéché. Quant au mari, il tue le temps au marché. Voilà près de cinq ans que Zilekha et les siens ont fui leur village du Darfour-Ouest, anéanti par les miliciens du régime de Khartoum. Deux de ses frères ont d'ailleurs péri dans l'assaut. Rentrer au pays? "Oui, dès qu'on me dira qu'il n'y a plus de danger. Ma terre est là-bas. Ici, bien sûr, je me sens en sécurité. Mais il n'y a rien à faire. On vit de ce qu'on nous donne. L'Eufor? Non, jamais entendu parler."

Sur le chemin du retour, une halte près de l'école. Deux roquettes, vestiges des combats de la mi-juin, ont perforé le mur de briques rouges. Reste des salles nues. A l'intérieur, pas un banc ni un tableau. Point d'élèves ni de profs non plus. La rentrée attendra la fête de l'Aïd, terme du mois de carême. Qu'importe: les gamins d'ici ont déjà tant appris.

 

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