Humanité : Saleh Kebzabo, l’un des porte-parole de l’opposition, revient sur la disparition d’Ibni Oumar Mahamat Saleh, arrêté en février par l’armée
tchadienne.
Que pensez-vous des conclusions de la commission d’enquête sur les événements qui ont suivi l’attaque manquée des rebelles sur N’Djamena
en février, notamment concernant la disparition d’Ibni Oumar Mahamat Saleh, à l’époque porte-parole de la principale coalition d’opposition ?
Saleh Kebzabo: La commission a terminé son travail, mais elle n’est même pas en mesure de nous dire ce qu’il est arrivé à Ibni.
Ses membres annoncent qu’il est probablement décédé, mais sans apporter d’éléments probants. Ils disent que ce sont des militaires qui sont venus arrêter les responsables politiques et qu’ils les
ont brutalisés au moment de leurs arrestations, mais ces éléments ne sont pas une révélation. Nous savions cela dès le départ, car les témoignages étaient nombreux et fiables. Cela prouve que
nous avions raison de refuser cette commission d’enquête. Nous savions qu’une commission nationale est composée de Tchadiens qui pensent au lendemain. Cela constitue un élément bloquant qui les a
empêchés d’aller jusqu’au bout de leur mission première, c’est-à-dire de déterminer dans quelles conditions Ibni a été arrêté et ce qu’il est devenu. C’est pour cela que nous demandons toujours
une commission internationale dont les membres auront les mains libres pour investiguer. Il y a néanmoins un certain nombre d’éléments importants qui ont été prouvés par cette commission. Cela
nous ouvre des pistes et nous sommes en train de voir qu’elles sont les possibilités juridiques dont nous disposons, notamment au niveau international compte tenu du peu de crédibilité de la
justice tchadienne, pour poursuivre ceux qui ont été de prêt ou de loin liés à cette affaire.
Pourquoi la question du rôle de la France n’a-t-elle pas été posée par la commission ?
Saleh Kebzabo: Il faudrait poser la question à ses membres. Pourquoi la France n’a-t-elle pas été pointée du doigt, alors qu’il
y a des Français très haut placés dans la hiérarchie tchadienne, que cela soit dans l’armée ou dans les services de renseignements ? Il y a un représentant de la DGSE à demeure au Tchad et un
militaire français au bureau opérationnel de la présidence, là où le président Déby mène la guerre. L’armée française est présente au Tchad et, pendant les combats de N’Djamena, il y aurait eu
des actions menées par les Forces spéciales pour enrayer l’avancée des rebelles. La France est donc impliquée à tous les nivaux. Il ne faut pas non plus oublier la déclaration de l’ambassadeur de
France qui a dit à l’époque qu’au cas où des opposants politiques avaient été arrêtés, c’était peut-être justifié par leur collusion avec les rebelles. Tous ça indique qu’on ne peut pas absoudre
la France.
Qu’est-ce que la disparition d’Ibni Oumar signifie pour l’opposition ?
Saleh Kebzabo: C’est un manque très important parce qu’Ibni était un grand militant, un homme de conviction, de combat.
Son absence crée un trou dans notre mouvement. En tant que porte-parole, il a travaillé à l’unité de la Coalition pour la défense de la Constitution (CPDC, principale coalition d’opposition). Il
nous a amené beaucoup et sa carrure et sa dimension vont manquer.
Entretien réalisé par Camille Bauer