La décision de la Banque mondiale d'attribuer un prêt au Tchad pour la construction d'un oléoduc contre la promesse d'une redistribution équitable de la manne pétrolière s'est
soldée par un échec. Chronique d'un désastre annoncé.
Dans un communiqué publié le mois dernier, la Banque mondiale annonçait "qu’elle n’était plus en mesure de soutenir le projet d’oléoduc Tchad-Cameroun" dont elle assurait une partie du financement depuis 2000.
Le ton du communiqué contrastait avec l’enthousiasme qui accompagnait, huit ans plus tôt, la mise en place du projet. L’institution financière parlait alors d’une initiative sans précédent visant à faire bénéficier directement les plus pauvres de la manne pétrolière grâce à un accord unique en son genre : les nouveaux revenus seraient utilisés pour soutenir des programmes de développement économiques et sociaux.
Accusé de ne pas respecter ses engagements pris auprès de la Banque mondiale, le Tchad a immédiatement remboursé le prêt lié à la construction et à l’exploitation de l’oléoduc reliant, sur près de 1 000 kilomètres, le Tchad au Golfe de Guinée via le Cameroun. Libéré de ses obligations, le gouvernement tchadien est désormais libre de dépenser les revenus pétroliers comme bon lui semble.
"La déception est d’autant plus grande que l'accord sur l'utilisation des ressources pétrolières pour le bénéfice des pauvres était la pierre angulaire du projet", affirme Michel Wormser, directeur des opérations pour la région Afrique à la Banque mondiale.
Mais pour beaucoup de membres d’ONG internationales et de la société civile tchadienne, ce désengagement était prévisible : N’Djamena n’aurait pu résister longtemps à la tentation du pétrole et de l’argent facile.
“Le plus grand événement depuis l’indépendance”
La remise en cause de l’accord est "un événement malheureux", explique Nicolas Sarkis, directeur de la revue
Pétrole et gaz arabes. "Mais il était important de tenter l’expérience", ajoute-t-il.
Le Tchad savait depuis plusieurs années qu’il était assis sur d’importantes réserves pétrolières, en particulier dans la région de Doba, dans le sud du pays, où quelque 900 millions de barils étaient prêts à sortir de terre. Mais sans façade maritime ni infrastructures permettant l’exportation des barils, les investisseurs ne se bousculaient pas.
"N’oublions pas qu’avant 2002-2003, il était difficile pour un pays comme le Tchad d’attirer l’attention des compagnies étrangères et de leur faire investir des centaines de millions de dollars pour chercher du pétrole, rappelle Nicolas Sarkis. À l’époque, le prix du baril était bas et les compagnies étaient davantage attirées par des pays dont les coûts de production étaient plus avantageux."
Les choses ont changé à la fin des années 1990 lorsque les compagnies pétrolières ont réalisé qu’avec la construction de l’oléoduc, financée en partie par la Banque mondiale, et la coopération des gouvernements tchadien et camerounais, l’investissement pouvait valoir le coup. Les majors américaines Exxon-Mobil et Chevron ainsi que l’entreprise malaisienne Petronas se sont portées candidates.
A cette époque, le Produit national brut (PNB) par habitant n’excède pas les 230 dollars et l’espérance de vie à la naissance s’élève à 49 ans. Pour le président Idriss Déby Itno, la construction de l’oléoduc représente alors "le plus grand événement dans le pays, après l’indépendance", comme il le confira, en 2000, au quotidien français Le Figaro.
En
2004, un an après la mise en exploitation de l’oléoduc, les revenus pétroliers nets représentent plus de 40 % d’un budget national qui reposait presqu’essentiellement sur les exportations du
coton. Les revenus pour l’année 2008 s’élèvent d’ores et déjà à 1,4 milliard de dollars.
Le pétrole permet l’achat d’armes, pas de livres
Depuis le début, les militants tchadiens des droits de l’Homme et de l’environnement se sont montrés sceptiques, arguant que le pays n’était pas préparé à la bonne gestion des revenus pétroliers et à faire face aux conséquences de sa richesse soudaine. Leurs appels à un moratoire furent d’abord ignorés. Puis la Banque mondiale a finalement accepté de conditionner le prêt, demandant au gouvernement tchadien de partager de façon équitable les revenus pétroliers.
Ces conditions furent intégrées à une loi adoptée en janvier 1999. Conformément à l’accord, 80 % des revenus pétroliers devaient être alloués à cinq secteurs prioritaires afin de combattre la pauvreté. Près de 10 % des fonds devaient également être transférés à un Fonds pour les générations futures. Un Collège de surveillance, composé de membres du gouvernement et de la société civile, fut chargé du suivi des projets.
Il semble que le président Déby ne se soit jamais véritablement conformé à ses engagements. Selon un représentant d’ONG locale, hormis quelques projets éducatifs et sanitaires dans la zone de production pétrolière, la population n’a jamais vu la couleur de l’argent. Les routes asphaltées, soi-disant financées par l’argent du pétrole, sont déjà pleines de nids de poule, un signe parmi d’autres que le gros de l’argent a surtout servi à "engraisser" les intermédiaires, dénonce Gilbert Maoundonodji, du Groupe de recherches alternatives et de monitoring du projet pétrole Tchad-Cameroun (GRAMP/TC).
En 2006, le prix du baril de pétrole est trois fois supérieur à ce qu’il était six ans auparavant. Une occasion en or pour Idriss Déby Itno de renégocier avec l’institution de Bretton Woods les termes d’un accord qu’il ne jugeait pas suffisamment favorable à ses intérêts. Alors que les relations avec le Soudan voisin deviennent de plus en plus tendues et que le régime tchadien se sent de plus en plus menacé par les mouvements rebelles qui essaiment à travers le pays, la sécurité s’ajoute à la liste des secteurs prioritaires définis par la loi de 1999, ouvrant ainsi la possibilité pour le gouvernement de financer l’achat d’armes officiellement destinées à la défense du pays.
“La Banque mondiale a sous-estimé combien le gouvernement tchadien allait tirer de l’exportation du pétrole", explique un employé d’une ONG préférant conserver l’anonymat compte tenu de la difficulté de travailler au Tchad. La Banque avait un moyen de pression tant que le Tchad disposait de faibles revenus, mais la situation a changé dès que ceux-ci ont augmenté.
Avec ou sans la Banque mondiale, les puits ne sont pas prêts de se tarir. Le gouvernement s’enrichit, les compagnies
pétrolières ferment les yeux et la population restent à l’écart. "C’est un débat de David contre Goliath", lance Gilbert Maoundonodji, regrettant que la Banque mondiale ne continue pas d'assumer
ses responsabilités vis-à-vis des Tchadiens. "Mais on doit continuer à en parler. Les ressources naturelles appartiennent à tout le monde".
Source: http://www.france24.com/fr/