YAOUNDE, 16 décembre (Xinhua) -- La résolution de la crise entre le Tchad et le Soudan doit engager
tous les protagonistes, dont les puissances étrangères qui exploitent ou ont envie d'exploiter les ressources naturelles de ces deux pays voisins africains, indique le Pr.
Joseph Vincent Ntuda Ebodé, directeur du Centre de recherche et d'études politiques et stratégiques de l'Université de Yaoundé II, dans une interview à
Xinhua. Voici le texte intégral de l'interview réalisée en décembre dans la capitale
camerounaise :
Question (Q) : Echange d'ambassadeurs et mise en place d'un groupe de contact. S'agit-il d'une simple accalmie ou d'une dynamique réelle de
renormalisation entre le Tchad et le Soudan ?
Joseph Vicent Ntuda Ebode (JVNE) : On peut soutenir les deux points de vue. D'abord, on peut penser qu'il s'agit d'un mouvement de surface, qui peut être dû au fait qu'il y a des
pressions sur les deux gouvernements de part et d'autre, en fonction des énormes enjeux humanitaires et énergétiques dont regorge le Darfour. De l'autre côté, on peut aussi penser
qu'il s'agit bien d'une tendance de fond, tout simplement parce que les connexions et les enjeux autour des deux pouvoirs qui se cristallisent dans le conflit du Darfour sont
tels qu'aucun des deux régimes ne peut se sentir avoir gagné ce conflit si vraiment les deux n'interagissent pas dans le même sens. C'est quand même un problème qui touche
les mêmes familles et qui, de ce point de vue, ne peut pas trouver de solution si, véritablement, les deux gouvernements ne mettent pas sur pied des possibilités réelles de
résoudre cette question.
Q : L'histoire montre que ces deux pays voisins ont toujours entretenu des relations tantôt cordiales, tantôt conflictuelles. Pensez-vous que les régimes d'Idriss Deby Itno et
d'Omar el Béchir puissent parvenir à s'entendre ?
JVNE : Naturellement, il est possible que les deux régimes arrivent à s'entendre. Mais, tout cela
dépend du degré réel d'ouverture politique. Parce que lorsqu'il y a ouverture politique, les conflits persistent mais se résolvent de manière pacifique. Le fait que les deux pays
soient fermés indique aussi l'intensité de la violence qui se trouve au centre des modalités de résolution de ce conflit dont on sait pourtant à l'avance qu'aucun pays ne peut
gagner tout simplement à partir de la perspective de la violence. Donc, je crois que c'est possible qu'on parvienne à une solution définitive de ce confit entre les deux pays.
Mais tant que les régimes ne s'ouvrent pas politiquement pour résoudre les problèmes de manière pacifique plutôt que de manière militaire, cela peut être un handicap à la
résolution de ce conflit.
Q : Assiste-t-on, comme certaines thèses l'affirment, à une guerre entretenue par des acteurs étrangers ?
JVNE : Il est évident que dans ce conflit, il y a une instrumentalisation, qui s'explique par la présence des enjeux que j'ai qualifiés tout à l'heure d'humanitaires, mais aussi
énergétiques. Donc, il y a un pan qui vient des puissances étrangères. Et lorsque j'ai évoqué la donnée ethnique et la donnée de la fermeture des régimes, c'était aussi pour
indiquer qu'il y a un pan entier de ce conflit qui repose sur des questions internes, la gestion du pouvoir par un certain nombre d'ethnies, mais aussi la gestion du pouvoir à
partir du degré d'ouverture des régimes politiques des deux pays. Il me semble donc que les deux positions peuvent être défendues valablement.
Q : Voulez-vous dire que la recherche d'une solution à cette crise ne saurait se limiter uniquement aux deux protagonistes ?
JVNE : Lorsqu'on fait la gestion des conflits, on intègre tous les acteurs impliqués directement ou
indirectement. L'on ne peut donc pas résoudre ce conflit uniquement en appelant le Tchad et le Soudan, alors même que les gens qui exploitent les richesses ou qui ont envie de
les exploiter sont mis de côté. Il faut donc que l'ensemble des protagonistes s'asseye et ces protagonistes sont d'abord internes. Mais il y a des protagonistes externes qui sont
très puissants et donc il faut qu'ils jouent véritablement le jeu de la paix. Puisqu'il est dans leur intérêt que la situation se stabilise.
Q : Que peut la force multinationale créée en 2007 par les Nations Unies ?
JVNE : La force multinationale pose déjà un premier problème qu'il va falloir résoudre. Lorsqu'on a
demandé aux pays africains de renforcer les capacités en matière de maintien et de gestion de la paix, il était question pour les puissances occidentales de laisser les Africains
résoudre leurs propres problèmes, mais de les assister en payant avec les moyens. C'était ça l'esprit de la sous-traitance stratégique, qui a donc amené un certain nombre de
régimes à signer les accords de gestion des conflits à la place des Nations Unies. C'est sur cette base que l'Union africaine a envoyé des forces au Soudan, les forces du
Darfour. Mais à peine ces forces sont arrivées sur le terrain, le problème des moyens a commencé à se poser. Ceux qui avaient pris la responsabilité d'envoyer les moyens n'ont
plus vite envoyé ces moyens ou même ne les ont pas envoyés en quantité suffisante. Du coup, la force de l'Union africaine (UA) s'est retrouvée paralysée. A partir de ce moment-là, le débat a commencé. Cette force a été suspectée d'être impuissante
et on a proposé une force des Nations Unies, comme si l'UA n'agissait pas au nom de l'ONU. Et le déblocage pour l'acceptation de cette force a fait naître ce qu'on a appelé la
force hybride UA-ONU au Darfour. On a vu ce que cela a donné. Ça n'a pas donné grand-chose sur le terrain. Et puis, on est passé à une autre force plus ou moins parallèle, l'Eufor,
qui devait intervenir à la frontière du Tchad et du Soudan. Ça n'a pas donné grand-chose non plus. Maintenant, on passe à une quatrième force. Cette fois-là, il faut que les
Nations Unies interviennent seules. Cela indique que la communauté internationale n'est pas en accord avec elle-même. Il faut bien que l'on sache ce qu'elle veut et à partir du moment
où l'on sait ce qu'elle veut, qu'on détermine comment arriver.