Par Sonia Dumarquis
Devenir mercenaire au Tchad, c’est aussi simple que de répondre à une petite annonce. Juan Doe n’a rien d’une barbouze. Toujours avenant, le sourire aux lèvres, il était pourtant pilote d’un
hélicoptère pour le compte de l’armée tchadienne. Mauvaise surprise en arrivant à N’Djamena, le boulot ne s’annonce pas de tout repos. Son travail ne se limite pas à transporter des troupes. Il
doit participer aux missions de survol et de bombardement des pickups de la rébellion à chacune de leurs incursions, voire même dans leur base arrière au Darfour voisin. Comment devient-on l’un
des mercenaires d’Idriss Deby?
Sonia Dumarquis - Quand et comment as-tu été contacté par Griffon Aerospace?
Juan Doe – Il existe un site internet pour les pilotes d’hélicoptère où tu peux trouver absolument toutes sortes de boulot. Militaires, civils, humanitaires. J’ai tout simplement répondu à une petite annonce. Je ne m’en souviens pas exactement, mais elle évoquait un "emploi militaire" pour le compte du gouvernement tchadien. Rien de plus. Pour des raisons évidentes (rires). Simplement la mention "Emploi militaire". Et tu comprends qu’il s’agit d’un travail risqué. Ce site référence plusieurs autres sites qui proposent des missions de ce genre. Tu poses ta candidature et attends qu’on t’appelle.
Sonia Dumarquis – Qui vous a appelé?
Juan Doe - L’un des responsables de Griffon. Non, un autre mexicain comme moi. L’un d’entre nous. Il m’a briefé. C’est ensuite seulement que l’un des gars de Griffon m’a appelé. Simplement pour me communiquer les détails de mon vol pour le Tchad. Et ils m’ont envoyé mon billet.
Sonia Dumarquis – Ils vous ont juste envoyé un billet sans expliquer quoique ce soit de plus? Ils ne vous ont rien dit à propos de votre mission?
Juan Doe – Non, j’avais déjà été rencardé par mon pote mexicain. Il est le premier d’entre nous à avoir été contacté.
Sonia Dumarquis – D’où provenait l’appel?
Juan Doe - Je ne sais pas. L’appel que j’ai reçu était en numéro caché.
Sonia Dumarquis – Quand êtes-vous arrivé au Tchad?
Juan Doe - En 2006.
Sonia Dumarquis - Qui sont les responsables de Griffon?
Juan Doe - Je ne sais pas. Je ne les ai jamais rencontrés. Dès mon arrivée au Tchad, j’ai été pris en charge par mon pote. Et on a immédiatement travaillé avec les Tchadiens. Mon contrat, je l’ai signé avec eux. J’ai vu plusieurs fois des types de Griffon au Tchad, faire des inspections des hélicoptères. Ils vérifiaient que tout se passait bien et repartaient. Nous, on était surtout en contact avec les Tchadiens.
Sonia Dumarquis - De quelle nationalité étaient-ils?
Juan Doe – Français, je pense. Je les ai vus très brièvement.
Sonia Dumarquis – Avez-vous une idée de ce qu’ils étaient? Des civils? Des militaires?
Juan Doe – Je ne sais vraiment pas. Ils n’avaient pas d’uniformes en tout cas. Ils n’étaient pas les seuls à venir faire des inspections. Un jour, deux Suisses sont venus pour les Pilatus (NDLR: des PC7, des avions d’entraînement, absolument pas destinés à un usage militaire. Le Parlement suisse s’en est d’ailleurs ému). La Suisse est censée être un pays neutre (rires). Mais ils vendent des armes adaptables à leurs Pilatus. Ils ont fait la même chose chez moi au Mexique en 1994. A l’époque, il y avait un conflit. La même chose s’est passée au Tchad. Vous vous souvenez des deux Pilatus de l’armée tchadienne (NDLR: deux Pilatus armées de bombinettes)? Eh bien, j’ai rencontré deux gars de la société Pilatus. Ils sont même restés une semaine, pour s’occuper de leurs Pilatus. Ceux-là, on les a repérés de loin. On connaissait cette pratique à cause de ce qui s’est passé chez nous à Mexico.
Sonia Dumarquis – Les gens de Griffon aerospace ne font donc qu’acheter des hélicoptères en Ukraine et contactent ensuite des pilotes au hasard?
Juan Doe – Exact. Les pilotes des MI24 viennent d’Ukraine et de Russie. Et nous, pour le MI17, ils sont venus nous chercher au Mexique. Du coup, on ne pouvait pas beaucoup discuter entre nous (rires). Les autres pilotes, je ne les avais jamais rencontrés. Sur aucun autre terrain.
Sonia Dumarquis – Est-ce que la base militaire française à N’Djamena pouvait tout ignorer des agissements de Griffon, les achats d’armes et son recrutement de mercenaires?
Juan Doe – C’est difficilement envisageable. Utilisez votre bon sens. Tout le monde à N’Djamena connaissait notre histoire. On partageait avec les Français le même aéroport (NDLR: l’Armée française partage une piste de décollage avec les militaires tchadiens. Leurs bases sont côte à côte).
Sonia Dumarquis – Pensiez-vous que Griffon agissait dans l’illégalité?
Juan Doe – Du peu que j’en ai vu. Je ne pense pas. Peut-on dire que c’est illégal quand tout le monde agit comme si cela ne l’était pas? Je pensais qu’ils avaient toutes les autorisations.
Sonia Dumarquis – Avez-vous été surpris lorsque vous avez appris qu’une enquête préliminaire était ouverte en France pour trafic d’armes illégal contre la société Griffon?
Juan Doe – J’ai été surpris par l’affaire de l’Arche de Zoé, fin 2008. Cette ONG qui a voulu enlever des enfants tchadiens… (Rires). On peut toujours avoir de mauvaises surprises. Franchement, je ne sais pas s’ils ont vraiment fait quelque chose de mal.
Source: sousrealisme.org