Propulsé devant les projecteurs de l’actualité non pas à cause de ses florissantes activités commerciales mais plutôt de la
folie meurtrière qu’il a connue au début du règne de l’arbitraire et de la jungle , Gninguilim occupe tragiquement une partie importante de l’histoire criminelle du régime MPS. Il restera
pourtant l’un des dossiers brûlants qui pourraient épingler le dictateur, le jour où son sort sera scellé, jour tant attendu par l’ensemble du peuple tchadien de le voir devant une
juridiction spéciale pour les innombrables crimes en vers l’humanité commis lors de son exécrable pouvoir clanico-anarchique. Ce jour vendra avec cette gigantesque flamme de la lutte
armée dont les étincelles scintillent chaque jour le ciel de la partie orientale du pays. Mais, Gninguilim demeure aussi le point de départ d’une grave crise sociale rendant invivable la région
orientale tout entière en contraignant des nombreuses familles à l’exode. Retour sur un événement douloureux qui continue toujours de hanter les esprits de ceux qui l’ont vécu dans leur chair et
dans leur os.
Il y a seize ans, jour pour jour que le marché hebdomadaire de Gninguilim, (village de Ouadi Hamra) dans le Ouaddaï a subi l’un de plus horribles massacres de l’histoire du Tchad indépendant. C’était le 04 août 1993.Ce jour,le soleil se trouvait juste au zénith quand des roquettes et d’obus en provenance de quatre points cardinaux du village s’abattirent comme des grêles sur le marché grouillant d’un monde affairé . Des hommes, des femmes, des enfants ne sachant à quel saint se vouer, tombèrent sous des balles de mitraillettes, des éclats d’obus et de roquettes. Bêtes et oiseaux n’étant pas épargnés ! En l’espace de deux heures de rude pilonnage, le ciel s’était assombri sur Gninguilim à l’image d’une nuit orageuse, tel fut un hallucinant apocalypse. Le lendemain, lorsqu’une délégation officielle se rendit sur le lieu, des centaines des cadavres jonchaient, d’autres calcinés difficilement identifiables. Toute la journée était consacrée à l’enterrement des corps sans vie et des débris humains difficilement assemblables dans une ambiance lourdement triste. Des images insoutenables, cauchemardesques décrivirent l’ampleur de la violence. Qui sont les auteurs de cette barbarie ? Pourquoi ont-ils massacré ces paisibles citoyens au moment où ils faisaient le marché ? Quel péché d’Israël ont-ils commis pour mériter ce dramatique sort ? Autant des questions restant sans réponses.
En son temps, le gouvernement, à travers les ondes de la radio nationale, attribuait cet abominable forfait aux éléments du CNR d’Abbas Koty qui le démentiront plu tard. Dépêché sur le
lieu, le correspondant de la RNT à Abéché, Abdoulaye Moustapha a fait les frais de son reportage pour avoir avancé le bilan de 120 morts, estimant avoir réduit le nombre pour ne pas transgresser
le statut des médias publics. Mal en a pris. D’après les informations recueillies sur des rares survivants, les assaillants étaient venus tôt le matin, encerclant Gninguilim sans que les
populations ne se soient rendus compte de cette embuscade qui leur était tendues. Dirigés par un sexagénaire du nom de Dillo qui se faisait passer pour un représentant de la chefferie de
Bidéat dans la localité, ils avaient planifié leur opération macabre en choisissant le jour du marché dans le but de ratisser large afin de venger, semble-t- il, la mort d’un de leurs
parents, abattu, il y a quelques jours, au cours d’une opération de vol du bétail dans la localité. N’étant donc pas étrangers, car appartenant au Biria, sous clan des Bidéat, ils avaient
quitté leur terre natale à la suite de différentes sécheresses ayant ravagé l’est du pays et s’étaient installés dans la localité de Gninguilim depuis belle lurette tout en bénéficiant de
l’hospitalité de leurs hôtes. La petite communauté Biria vivait alors en parfaite harmonie jusqu’à l’arrivée au pouvoir de Idriss Deby, membre de leur clan. C’est à partir de ce moment que
les autres communautés mitoyennes découvrirent avec étonnement l’attitude insolente des Bidéat qui, ivres de pouvoir, confondaient malheureusement monarchie et république en se
comportant en véritables maîtres devant leurs serfs comme si l’on était dans l’époque préhistorique. C’est sur la base de l’esprit dominant -dominé que vont se traduire les rapports de
cohabitation avec les autres populations avec qui la communauté Bidéat partageait pourtant un passé. Elle avait commencé à montrer ses griffes blessantes qui laisseront des cicatrices
longtemps ineffaçables dans les cœurs affligés.
Mais au de là des faits rapportés, le massacre de Gninguilim découle d’un vaste plan d’asservissement et d’assujettissement des populations concocté par un groupe de pseudo
intellectuels et d’hommes influents de la communauté Zaghawa qui faisaient office d’éminences grises du président Idriss Deby. Leur objectif inavoué était d’imposer aux
tchadiens leur hégémonie, leur domination afin que ceux-ci ne puissent devenir que des taillables et corvéables à merci. C’est ainsi que fut inventé le beriasso, nouvelle
philosophie politique similaire à une sorte d’apartheid qui tente à élever la communauté Béri (Zaghawa) au dessus des autres surtout celles qui partagent un rayon géographique commun avec
elle - piller leurs richesses, s’accaparer de leurs épouses, violer leurs filles, tuer celui qui ose lever le petit doigt- bref contraindre ceux qui s’opposent à abandonner leur
terre, leur patrimoine. Et c’est ce qui fut fait , à partir de Gninguilim en passant par Souar Waga , Hougouné , Abhachim, Kodock (dans le ouaddai), Deretna, Hadjar Hadid , Guereda ( dans le
Dar Tama), jus qu’au Dar Sila et Salamat,les nomades et sédentaires de ces localités ont vécu durant toutes ces longues années sombres un véritable enfer et nombreux sont ceux qui ont fui ce
genre d’holocauste version Zak pour se réfugier aux alentours de la frontière tchado soudanaise. Ce sont les enfants de ces damnés de la terre qui se sont engagé dans toutes les différentes
organisations rebelles (de FUC de Mahamat Nour à l’UFR de Erdimi) pour tenter de renverser le régime clanique, mafieux et sanguinaire de N’djamena dans l’optique de réclamer la justice à
eux et à tous les autres compatriotes opprimés. Ce ne sont pas les « trois millions des tchadiens vivant au Soudan », chiffre on ne sait dans quelles statistiques démographiques
que Deby (jeune Afrique n°2531 du 12 au 18 juillet 2009) a trouvé pour prétendre dire que ceux-là, servent de réservoir à la rébellion. Le dictateur devrait au moins élargir sa
mémoire au lieu de raconter des bobards. Il devrait aussi se poser des questions : que sont devenus les enfants des victimes de Gninguilim qui sont des centaines d’orphelins, où sont
ces milliers d’Arabe, de Tama, de Mararit, d’Assongor, de Mimi, de Dajo .. terrifiés, dépossédés de leurs biens et chassés de leur terre?
De ce qui précède, l’absence de la paix, de la sécurité et de la justice a amené les tchadiens victimes de la barbarie debyenne à opter pour la violence afin que les aspirations légitimes
du peuple tchadien opprimé puissent se traduire un jour dans le fait. C’est pourquoi, autant des sacrifices à consentir pour que le Tchad devienne une nation fondée sur des valeurs universelles
de paix, de justice, de démocratie. Telle est la motivation de cette longue guerre qui embrase aujourd’hui l’est du pays.
Ahmat Yacoub Adam
Combattant de l’UFR