DAKAR, 15 juillet 2008 (PlusNews) - Alors que la flambée des cours mondiaux du pétrole
profite aux pays producteurs d’or noir, comme le Tchad, les fonds alloués par le gouvernement tchadien à la lutte contre le sida dans le budget 2008 ont diminué par rapport à l’année précédente
–une baisse attribuée à l’augmentation des dépenses en matière de sécurité dans ce pays instable.
En dépit d’une baisse de la production ces dernières années –due à la teneur élevée en eau du pétrole
tchadien- après un pic en 2004, les recettes liées à l’or noir, dont l’exploitation a commencé en 2003, n’ont cessé d’augmenter ces dernières années, dopées par la flambée des cours
mondiaux.
En 2006, selon la Banque des Etats de l’Afrique centrale, le pétrole a rapporté 403 milliards de francs CFA (953 millions de dollars) à l’Etat tchadien, contre 144
milliards (340 millions de dollars) en 2005, bien au-delà de ses prévisions les plus optimistes.
Les prévisions pour 2008, élaborées alors que le prix du baril tournait encore autour de 100 dollars, tablent sur des recettes pétrolières de 571 milliards (1,35
milliard de dollars).
Cette manne financière a permis à l’Etat d’injecter des fonds dans certains programmes de réduction de la pauvreté, entre autres dans la lutte contre le VIH/SIDA, sous
l’impulsion de la Banque mondiale, principal bailleur de fonds de l’oléoduc Tchad-Cameroun, qui avait conditionné l’octroi de ses financements à l’allocation de plus des deux tiers des recettes
pétrolières tchadiennes à la lutte contre la pauvreté.
En 2006, le Projet subvention sida a reçu quelque 100 millions de francs CFA (236 000 dollars) provenant des revenus pétroliers, selon le rapport annuel du Collège de
contrôle et de surveillance des ressources pétrolières (CCSRP), un organe indépendant, tandis que le Projet de population de lutte contre le sida (PPLS2), financé en majeure partie par la Banque
mondiale, a été doté d’une enveloppe de 167 millions de francs CFA (395 000 dollars) issus de ces mêmes revenus.
« Le pétrole a donné un coup de fouet assez important dans la lutte contre le sida », a dit à IRIN/PlusNews Avocksouma Djona Atchénémou, ministre de la Santé. « C’est
grâce aux ressources du pétrole que nous avons aujourd’hui la gratuité des ARV [antirétroviraux]. Cela a permis aussi de rassurer nos partenaires ».
Baisse des fonds alloués au sida
Malgré ces rentrées financières de plus en plus importantes pour un pays qui figure parmi les 10 pays
les plus pauvres du monde, selon l’Indice de développement humain des Nations Unies, les ressources consacrées à la lutte contre le sida devraient diminuer en 2008.
En janvier, le ministère de la Santé avait indiqué que l’Etat comptait consacrer deux milliards de francs CFA (4,7 millions de dollars) à la lutte contre le sida en
2008. Le montant inscrit au budget national a finalement été fixé à 1,25 milliard de francs CFA (moins de trois millions de dollars), selon le ministère, contre 1,62 milliard de francs CFA
consacrés à la lutte contre l’épidémie en 2007.
Aucun commentaire n’a pu être obtenu du côté du gouvernement pour expliquer cette réduction des sommes allouées à la lutte contre le sida dans un budget élaboré
tardivement et promulgué mi-février sans passer devant le Parlement, dans le cadre des mesures d’exception décidées par le président Idriss Déby suite à une offensive rebelle contre son régime
début février.
Mais observateurs nationaux et internationaux s’accordent à dire que cette baisse est due en grande partie à l’affectation d’une part importante des
ressources financières de l’Etat à la défense et la sécurité, en dépit de l’engagement pris par le Tchad en 2006 de consacrer 70 pour cent de son budget à des programmes de réduction de la
pauvreté.
Le régime d’Idriss Déby est confronté depuis plusieurs années à une rébellion venue de l’est du pays. Le
président tchadien accuse son homologue soudanais Omar el-Béchir de soutenir cette rébellion armée.
Le gouvernement tchadien ne cache pas son intention de financer sa sécurité grâce à l’argent du pétrole : d’après le Fonds monétaire international, 12 pour cent du
Produit intérieur brut du Tchad seraient consacrés à l’achat d’armement, soit le double du budget alloué à la santé.
Financer la sécurité
En janvier 2006, c’est d’ailleurs entre autres cette volonté d’utiliser une partie des ressources
pétrolières pour l’achat d’armements –contrairement à l’accord passé avec la Banque mondiale- qui avait poussé le président Déby à dénoncer l’accord conclu avec l’organisme international,
conduisant ce dernier à suspendre pendant plusieurs mois ses programmes au Tchad, jusqu’à ce qu’un nouveau compromis soit trouvé en juillet 2006.
« La baisse [du montant accordé à la lutte contre le sida] pourrait être simplement due à la guerre », a commenté Fulbert Mbaïdignodji, un économiste tchadien
travaillant dans le domaine du développement. « Le budget n’ayant pas fait l’objet d’un débat à l’Assemblée, on suppose que les autres secteurs ont été sacrifiés au profit de la guerre. Si le
budget avait été débattu, on [aurait souligné] cette baisse et été fixé sur le pourquoi de cette chute ».
« Certains aspects n’ont pas été pris en compte, ou [même] simplement oubliés, en ce qui concerne la lutte contre le sida », a-t-il dit.
La baisse de l’affectation des revenus pétroliers aux ministères prioritaires –santé, éducation, services sociaux, infrastructures, développement rural, etc- chargés de
mettre en œuvre les programmes de réduction de la pauvreté, avait déjà été constatée en 2007, avec un total de 102 milliards de francs CFA (241,2 millions de dollars) inscrits dans le projet de
budget 2007, soit une baisse de près de 13 pour cent par rapport à 2006, selon le CCSRP.
Cette situation, qui a été dénoncée par plusieurs bailleurs de fonds comme étant contraire aux engagements pris par le gouvernement en 2006, devrait se reproduire dans
le budget 2008, selon plusieurs économistes. «A l’exception de l’Education nationale et du ministère des Infrastructures, les ministères dits prioritaires ont vu leurs crédits diminuer par
rapport à 2007 », a remarqué l’un d’entre eux.
La baisse des ressources de l’Etat consacrées au VIH/SIDA suscite l’inquiétude des associations locales. « Pour les achats des ARV et autres produits de la lutte contre
le sida, une prévision de [plus de deux] milliards de francs CFA avait été préconisée sur les fonds du pétrole », a rappelé Célestin Gabdoubé Ladiba, membre du Réseau des personnes vivant avec le
VIH, se demandant comment le fossé allait être comblé.
Mais pour Djedossoum Naoundangar, secrétaire général du ministère de la Santé, il n’y a pas lieu de s’alarmer. « Il n’y a pas d’inquiétude en ce qui concerne les ARV. Le
stock dont nous disposons peut nous permettre d’aller jusqu’à la fin de l’année [2008] », a-t-il affirmé. « En plus de ce que l’Etat a prévu, il y a le financement du Fonds mondial [de lutte
contre le sida, la tuberculose et le paludisme] ».