Tout se sera passé très vite, ces derniers temps, en Côte
d’Ivoire. Il y a d’abord cette déferlante des Forces républicaines d’Alassane Ouattara, qui déboulent comme sur un boulevard en direction d’Abidjan, cueillant au passage, et presque sans coup
férir, les villes représentant jadis autant de fiefs de Gbagbo. Mais ensuite et surtout, il y a ce scoop qui siffle comme un couperet annonciateur d’une fin prochaine aux oreilles du président
sortant et de ses partisans : le général Philippe est désormais réfugié dans les locaux de l’ambassade sud- africaine d’Abidjan.
Le président sortant et son clan peuvent en être ahuris, abasourdis, hébétés. Et pour cause. On le serait à moins. Ils ont vite fait de minimiser la défection de l’homme, d’user de l’habituel et
fort opportuniste « nul n’est indispensable », on le devine, in petto, mais ils ne pourront vraiment pas manquer de déchiffrer dans cet évènement de taille quelque signe précurseur de
ce qui peut-être les attend, eux, dans les jours ou heures à venir.
Car, cet homme, loin d’être un quidam, n’est autre que Mangou, ci-devant grand chef d’état-major de l’armée ivoirienne ; un fidèle d’entre les fidèles ; un homme qui, à maintes
reprises, a défendu les positions de Gbagbo avec fougue et audace. Au point que certains de ses contempteurs voyaient en lui ni plus ni moins que le caniche de son maître. Ce maître qui, en
retour, lui aura confié la direction de l’état-major de son armée. En temps de crise, pareille confiance se mérite.
Autant dire que les deux hommes s’entendaient à merveille et concoctaient ensemble les plans et stratégies susceptibles de dégager le clan Gbagbo des multiples tentatives d’étouffement qui se
resserrent autour de lui, et ce, depuis de longues semaines. Mais peu à peu, il se trouva comme une crise de confiance entre les deux compères ; tout spécialement lorsque Gabgo et certains
purs et durs de son régime apprirent que Mangou, l’homme de confiance, avait été démarché par le président élu ADO pour rejoindre le camp de la république du Golf.
L’homme, il est vrai, avait décliné l’offre du rival de son maître : à juste raison, dira-t-on. C’est à ce dernier que lui Mangou devait tout. Mais du coup, il devenait quelque part suspect
et depuis, dut subir certaines avanies pénibles dont on est à présent fondé à penser qu’elles auront peu ou prou contribué à le persuader de quitter le navire. Mais, ce navire, il l’abandonne en
pleine tempête au plus mauvais moment. Ce qui d’ailleurs peut faire dire que Mangou ne quitte pas la scène au seul motif qu’il subit une disgrâce qui ne dit pas son nom. Il n’est pas saugrenu de
croire que le militaire professionnel qu’il est sait prévoir l’issue des batailles et qu’en l’occurrence il déserte un combat qu’il sait perdu à l’avance. Mais la désertion de cet élément-clé
dans le dispositif de guerre du président sortant à tout le moins déstabilisera la stratégie Gbagbo.
Ce même Gbagbo qui, d’ailleurs, voit la zone qu’il contrôle se rétrécir de plus en plus et désormais se réduire comme peau de chagrin. Après les villes qui chutent en cascades, après San Pédro et
son port cacaoyer, depuis peu tombés dans l’escarcelle des Forces républicaines, le président sortant et ses amis savent que c’est au tour d’Abidjan de subir les assauts des troupes de son rival
excédées d’attendre de longs mois que leur chef enfin occupe le palais présidentiel, qui lui revient de droit.
La présence d’un Mangou à ses côtés, en ces heures cruciales, lui aurait été sans doute providentielle. A l’allure où avancent les pro-Ado, la bataille d’Abidjan devrait avoir lieu, au plus, dans
quelques heures. Nul doute que d’elle dépend désormais le sort de toute la Côte d’Ivoire. Gbagbo le sait bien, qui a organisé le repli de tout ce qui lui reste de force pour défendre le seul
bastion encore en sa possession. A supposer qu’il doive tomber, il tiendra à lancer un dernier baroud d’honneur. Mangou, une fois de plus, lui manquera certainement.
Car Ado lui aussi, résolument, envoie en masse ses combattants armés pour enfin s’emparer de cette dernière ville qui lui fait défaut pour prétendre gouverner effectivement la Côte d’Ivoire. S’il
a lieu, l’affrontement d’Abidjan peut s’avérer impitoyable, féroce, atroce. Les jeunes patriotes enrôlés en masse aux côtés des détenus libérés auxquels on a distribué des armes, pour
enthousiastes et zélés qu’ils sont, ne sont pas vraiment des professionnels du métier des armes : à eux aussi manquera la stratègie du bien expérimenté Mangou.
Et si Gagbo, envers et contre tout, jette ces jeunes dans la bataille, c’est bien la preuve que l’homme est aux abois, qu’il fera feu de tout bois pour sauver sa tête et, le cas échéant, son
régime. Mais dans cet affrontement qui se présente comme un véritable combat sans merci, on déplore déjà des morts tout comme on ressent de la peine pour ce qui les aura provoqués : l’ego
surdimensionné d’un humain qui aura amplement usé de tout pour se forger un destin éternel. Passionnément, mais surtout à la déraison.