Un nouveau rapport de la Secrétaire d’État américaine Hillary Clinton notant l’incapacité persistante du Sénégal à traduire l’ancien
dictateur Hissène Habré en justice conforte la demande que le Sénégal doive extrader rapidement Habré vers la Belgique pour y être jugé, ont déclaré aujourd’hui Human Rights Watch et des
associations tchadiennes de victimes. Dans un rapport rendu public le 20 juin 2012, Hillary Clinton a déclaré qu’ « après vingt ans, les victimes méritent justice et depouvoir
faire valoir leur cause devant un tribunal ». La Secrétaire d’État américaine a exhorté le gouvernement sénégalais à prendre des « mesures concrètes » afin de
poursuivre Habré au Sénégal ou de l’extrader vers la Belgique.
Habré est accusé de milliers d’assassinats politiques et de l’usage systématique de la torture lorsqu’il était au pouvoir au Tchad de 1982 à 1990. Il vit en exil au Sénégal depuis plus de 21 ans,
mais n’y a toujours pas été traduit en justice. Habré est recherché par la Belgique pour crimes contre l’humanité, crimes de guerre et torture. « Hillary Clinton a reconnu la souffrance
des victimes de Habré et la nécessité d’une justice rapide », a déclaré Jacqueline Moudeïna, avocate des victimes de Habré et présidente
de l’Association tchadienne pour la Promotion et la Défense des droits de l’Homme. « À ce stade, la seule option réaliste pour une justice rapide est
l’extradition de Habré vers la Belgique, où il peut y être jugé dans les plus brefs délais. Sinon, nous allons être bloqués au Sénégal pendant encore de nombreuses années. »
En décembre 2011, lors de l’approbation de 50 millions de dollars en aide au développement au Sénégal, le Congrès américain a exprimé sa préoccupation « par rapport au fait que Hissène
Habré n’a toujours pas été extradé pour être jugé » et a demandé à la Secrétaire d’État américaine de préparer un rapport sur « les dispositions prises par le gouvernement
sénégalais en faveur de la traduction de Hissène Habré en justice ». Hillary Clinton a présenté son rapport au Comité des affectations budgétaires (« Appropriations
Committee ») du Sénat américain le 6 juin.
Hillary Clinton a exhorté le gouvernement sénégalais à « avancer rapidement » dans la traduction de Habré en justice. « Si des progrès ne sont
pas visibles en ce qui concerne les efforts pour poursuivre ou extrader Habré, le Département d’État continuera à insister fermement sur une action rapide de la part du Sénégal afin que Habré
réponde enfin de ses crimes », a déclaré Hillary Clinton dans le rapport. Suite à la défaite d’Abdoulaye Wade face à Macky Sall lors des élections présidentielles au Sénégal au mois de
mars, le nouveau gouvernement sénégalais a indiqué qu’il préfère juger Habré au Sénégal plutôt que de l’extrader vers la Belgique. Cependant, les associations de victimes ont exprimé leur crainte
qu’un procès au Sénégal requerrait encore plusieurs années et mettrait la justice hors de portée pour de nombreuses victimes, dont beaucoup sont déjà décédées.
Le rapport note que Hillary Clinton avait envoyé un message à Wade, qui était alors président, en septembre 2011, exhortant le Sénégal à juger Habré ou à l’extrader vers la Belgique mais que les
efforts pour qu’Habré soit tenu responsable de ses crimes étaient « effectivement bloqués ». Hillary Clinton a fait part de son espoir que le Président Sall et sa nouvelle
administration « pourraient accélérer » la traduction en justice de Habré. Habré a été inculpé une première fois au Sénégal en 2000. Les tribunaux sénégalais ont statué qu’il ne pouvait pas y être jugé, et
ses victimes ont alors déposé plainte en Belgique. En septembre 2005, après quatre ans d’enquête, un juge belge a inculpé Habré et la Belgique a demandé son extradition, mais un tribunal
sénégalais s'est déclaré incompétent pour statuer sur la demande d’extradition.
Le Sénégal s’est ensuite tourné vers l’Union africaine (UA) qui a demandé au Sénégal de juger Habré « au nom de l’Afrique ». Le président Wade a accepté le mandat de l’UA mais des
années de querelles à propos du budget du procès se sont ensuivies. En novembre 2010, la communauté internationale s’est engagée à donner 8,6 millions d’euros (11,4 millions de dollars) pour
financer le procès de Habré. Une décision de la Cour de Justice de la
Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) en novembre 2010 a exigé que Habré soit jugé devant une « juridiction spéciale ad hoc à caractère
international ». En mai 2011, le Sénégal s’est retiré des négociations avec
l’UA portant sur la création de cette juridiction.
En juillet 2011, le Sénégal a menacé d’expulser Habré au Tchad. Le gouvernement tchadien a alors annoncé son soutien pour
l’extradition de Habré vers la Belgique pour y être jugé. La Cour internationale de Justice (CIJ) devrait se prononcer avant la fin de l’année sur une requête déposée par la Belgique contre le
Sénégal en février 2009, accusant le Sénégal d’avoir violé la Convention des Nations unies contre la torture et autres peines ou traitements
cruels, inhumains ou dégradants en refusant de poursuivre Habré ou de l’extrader vers la Belgique.
La Belgique a déposé une nouvelle demande d’extradition auprès des autorités sénégalaises en janvier 2012 suite au rejetdes deux demandes précédentes pour vices de forme, le
gouvernement sénégalais n'ayant apparemment pas
transmis les documents juridiques belges intacts au tribunal. La dernière demande d’extradition semble être dans les mains du bureau du procureur national sénégalais, qui ne l’a pas
encore transmise aux tribunaux afin d’être traitée.
Le rapport de Hillary Clinton notel’intention du nouveau gouvernement de juger Habré au Sénégal et de se plier à la décision à venir de la CIJ. Le rapport appelle le Sénégal à ne pas attendre la
décision de la CIJ et à rapidement entamer les poursuites contre Habré au Sénégal ou à l’extrader vers la Belgique. « Le temps est compté pour les victimes
survivantes qui meurent en plus grand nombre chaque année », a déclaré Reed Brody, conseiller juridique et porte-parole de Human
Rights Watch, qui travaille avec les victimes de Habré depuis 13 ans. « La Belgique offre l’option la plus opportune et la plus réaliste de garantir que justice soit rendue aux victimes
de Habré. »
Habré a été renversé par le président Idriss Déby Itno en 1990 et s’est réfugié au Sénégal. Son régime à parti unique a été marqué par des atrocités commises à grande échelle, notamment par des
vagues d’épuration ethnique et l’usage systématique de la torture. Les archives de la police
politique de Habré, la Direction de la Documentation et de la Sécurité (DDS), découvertes par Human Rights Watch en 2001, révèlent les noms de 1 208 personnes exécutées ou décédées en détention et 12 321 victimes de graves violations des
droits humains.