Tous les tchadiens savent que leurs finances sont très mal gérées tant en
recettes qu’en dépenses ; c’est un fait ; mais beaucoup d’entre eux ignorent le degré que cette gabegie a atteint notamment pour ce qui concerne l’exécution des Dépenses
publiques. En effet, nous assistons presque tous les jours non seulement à des violations
systématiques des règles budgétaires définies dans le cadre des différentes lois des finances et des textes réglementaires subséquents, mais également à des soustractions délibérées d’importantes
ressources publiques du circuit légal des dépenses. Pour comprendre comment notre pays est saigné à blanc, une description sommaire du
circuit de la dépense publique s’impose :
En effet, une disposition de la loi organique N°11/62 du 11 Mai portant
loi de finances résume à elle seule en son article N° 9 ce qui caractérise le mécanisme normal des dépenses de l’Etat : « aucune dépense ne peut être effectuée si elle n’a pas été prévue au
Budget et si elle n’est pas couverte par des crédits régulièrement ouverts » ; l’article N°10 renchérit : «Avant d’être payées, les dépenses sont engagées, liquidées, ordonnancées ». Cela
voudrait dire que pour qu’une dépense de l’état soit payée, il faut qu’elle passe par quatre étapes obligatoires :
- L’engagement de la dépense : pour consommer les crédits ouverts pour
eux dans le budget général, les Ministères ou autres services de l’état émettent leurs besoins par un bon de commande qui est accompagné de la facture du fournisseur et plus tard d’un procès
verbal de réception ; ce dossier est transmis au Ministère des Finances dont les services procèdent à
- La Liquidation de la dépense : c’est à dire que ces services vérifient
la réalité du service fait et l’exigibilité de la dépense puis en calculent le montant ;
- L’ordonnancement : c’est l’acte administratif donnant l’ordre de payer
la dépense au vu de la liquidation ; il est matérialisé par l’émission par le service de l’ordonnancement d’un mandat qui est en fait le titre de payement.
Le dossier comportant donc un bon de commande administratif, une facture,
un procès- verbal de réception et un mandat est envoyé dans un bordereau au trésor pour paiement.
Mais avant d’arriver au trésor, le dossier de la dépense est revêtu du
visa préalable du contrôleur financier qui vérifie l’opportunité de la dépense, sa conformité aux textes en vigueur son incidence financière et la disponibilité des crédits avant d’apposer son
visa.
- Le payement est donc effectué par le trésorier payeur après
vérification de la régularité de la dépense et la présence du visa du contrôleur financier.
Il convient de préciser ici qu’à chacune des étapes précitées, les
services des finances procèdent à la vérification entre autres de la disponibilité des crédits et de la conformité de la nature de la dépense aux lignes de crédits ouverts au
budget.
Ces mécanismes s’appliquent à peu de chose près aux marchés publiques qui
eux sont soumis à un formalisme contractuel préalable (appel d’offre, marché négocié, de gré à gré etc.) avant d’être engagés dans le circuit.
C’est dire donc que pour faire sortir de l’argent des caisses de l’état,
la loi a prévu un formalisme rigoureux pour éviter les détournements, les vols et les malversations .
Si la règle est comme nous l’avons vu, qu’aucune dépense de l’Etat ne
peut s’effectuer sans titre de paiement, la loi a prévu que certaines dépenses peuvent à titre exceptionnel être directement payées par la caisse du trésorier payeur avant d’être régularisées :
c'est-à-dire que le paiement est fait immédiatement avant les trois autres étapes en raison du caractère urgent de ces dépenses ; l’objectif est d’éviter la lourdeur du circuit normal cité plus
haut : on les appelle « les dépenses sans ordonnancement préalable ou les dépenses avant ordonnancement en abrégé D.A.O »
En raison de leur caractère exceptionnel, elles sont rigoureusement
réglementées par les lois organiques et les textes réglementaires subséquents :
En effet, outre le fait que ces dépenses sont limitativement listées dans
l’Arrêté N°098/PR/PM/MFB/SE/SG/09 du 28/05/09 et dans la note circulaire N°005/PR/PM/SG/2009 du 29 Mai 2009, elles doivent être soumises à un contrôle obligatoire de liquidation (constat de la
dépense et évaluation du montant) et le trésorier payeur doit s’assurer de la disponibilité des crédits avant tout décaissement ; le dossier afférent à la dépense doit immédiatement suivre le
circuit normal décrit plus haut. Il convient de noter que cette procédure n’est effectuée que sur décision expresse du Ministre des Finances et du Budget accompagnée d’une fiche annotées par les
plus hautes autorités.
Cette disposition est reprise par l’Arrêté N°238/PR/PM/MFB/SG/10 du 3
novembre 2010 portant nomenclature des pièces justificatives des dépenses de l’Etat. Ces dépenses avant ordonnancement sont les suivantes :
- Les dépenses liées à la dette et les frais associés
- Les dépenses de sécurité
- Les frais de mission à l’intérieur et à l’extérieur du
pays
- Les fonds spéciaux
- Les frais de soins et d’évacuation sanitaire.
A part donc ces dépenses, toutes les autres doivent obligatoirement
suivre le circuit normal avant d’être payées. Le trésorier payeur doit obligatoirement avant de sortir l’argent correspondant à
cette catégorie de dépense, procéder à un contrôle de liquidation et surtout vérifier si les crédits correspondant à ces dépenses sont disponibles.
La législation antérieure aux arrêtés cités plus haut avait limité le
montant des D.A.O à 15 000 000 de francs Cfa ; d’ailleurs en 2005, le montant des dépenses avant ordonnancement ne dépassaient pas vingt million de francs Cfa ; Mais depuis que les hautes autorités ont comprit qu’il existe la possibilité de
prélever directement de L’argent du trésor avant toute procédure de dépenses, elles se sont mise systématiquement à piocher dans la caisse du trésorier payeur sans même respecter les normes
minimales définies dans les actes précités ;
Les considérations de contrôle de liquidation et de la disponibilité des crédits sont
foulées aux pieds. Même des marchés publics dont le formalisme est le plus rigoureux de toutes les dépenses ont été payés par D.A.O. Les agents du trésor et de la Direction du budget sont souvent
chargés de trouver dans le budget, des crédits correspondant à la nature de ces dépenses pour essayer de les régulariser ; mais souvent, les prélèvements les plus importants concernent des
dépenses qui ne sont même pas prévues au budget ; après l’année 2005 ces dépenses qui constituaient l’exception sont devenues la règle et au fil des années, leur montants ont augmenté jusqu’à
atteindre en 2010, le seuil fatidique de 215 Milliards.
Cette pratique qui n’existe nulle part ailleurs est d’autant plus grave
qu’elle avait déjà écœuré nos bailleurs à l’époque où ils étaient encore là ; ils avaient déjà exigé la régularisation impérative de ces dépenses irrégulières qui à l’époque étaient encore à un
montant raisonnable. C’est ainsi qu’après le départ du F.M.I,
les autorités ont mis en place, depuis deux ans, l’une des plus grandes aberrations budgétaires que le pays ait connu : la suspension des engagements de dépense.
En effet, à peine quelques mois après la promulgation de la loi de
finance, les engagements des dépenses sont suspendus jusqu’à nouvel ordre par un acte du Ministre des finances sur instructions du Président de la république souvent transmises par le Secrétaire
Général de la Présidence. Ces décisions sont d’autant plus lourdes de conséquences qu’elles bloquent
inévitablement le fonctionnement des services publics ; c’est ainsi qu’après l’interruption des engagements de dépenses, la plupart des Ministres n’ont même plus des rames de papier pour
travailler.
L’objectif visé par ces suspensions, était en fait de permettre que le
reste des crédits soit utilisé pour régulariser les dépenses avant ordonnancement : c'est-à-dire qu’au lieu de servir au fonctionnement de l’état, les crédits budgétaire alloués aux différents
services de l’Etat servent tout simplement à réparer les malversations de nos plus hauts responsables ; à y regarder de plus prés, environ 90% des D.A.O sont le fait de la présidence de la
République (70%) et de la Primature (20%).C’est cette pratique qui
est à l’origine des multiples collectifs budgétaires qui surviennent malencontreusement en cours d’exercice aux fils des années. Ces budgets rectificatifs du budget initial dont l’objectif est de
permettre le fonctionnement des services de l’Etat subissent malheureusement le même sort que les budgets initiaux et leur exécution est rapidement interrompue ; les crédits sont encore bloqués
pour la régularisation des sommes d’argent prélevées indûment du trésor public et ce cycle se répète ainsi d’années en années depuis que notre pays n’est plus sous programme d’ajustement et donc
n’est plus sous la surveillance du F.M.I.
Cette gestion scabreuse de nos finances publiques est la cause principale
du départ du fonds monétaire international qui ne nous considère plus depuis longtemps comme un pays normal. Inutile de dire que le Tchad est la risée des coulisses des instances financières
internationales. Livrés à nous-mêmes, les lendemains sont plus qu’incertains pour notre pays qui est
désormais à la merci de tous les excès. Ces dépenses avant ordonnancement sont devenues la règle et il est légitime de ce
poser cette question : à quoi sert la loi de finance portant budget Général votée par notre parlement ? Pourquoi voter une loi de finance et un budget Général pour les fouler aux pieds ?
Une cour de discipline budgétaire chargée de réprimer les manquements aux
règles budgétaires existe bel et bien dans notre pays ; mais comme par hasard, elle n’a jamais fonctionné par ce qu’aucun local ne lui a été affecté et surtout parce que ses membres nommés il y’a
six ans n’avait jamais été installés. Ces membres dont certains sont morts depuis lors, continuent à percevoir un salaire consistant leur permettant de s’accommoder de cette situation « en se
tenant tranquille ».
Le parlement qui avait l’obligation d’exercer son contrôle de l’exécution
du Budget par le vote d’une loi de règlement a tout simplement baissé les bras ; la loi de règlement permet au parlement de comparer en fin d’exercice, l’exécution du budget par rapport aux
dépenses autorisées dans le budget initial éventuellement remanié par un collectif. Cette loi de règlement qui permet au parlement de contrôler l’exécution du budget par le pouvoir Exécutif n’a
plus vu le jour depuis plusieurs années.
Les citoyens tchadiens ont élu des représentants qui ont voté en leur nom
une loi de finance et un budget qui défini des règles régissant les entrées et les sortie des ressources destinées au bien être de tous les tchadiens ; la violation de ces règles constitue pour
nous, défenseurs des Droits Humains une violation de leurs Droits Economiques que nous avons le devoir de dénoncer.
A l’heure où nos recettes douanières sont en toute illégalité logées dans
un compte à la CBT échappant au Trésor Public et donc à tout contrôle ; à l’heure où nos entreprises sont bradées et la gestion de nos régies de recettes concédée à des proches du cercle du
pouvoir ; nos députés en votant un budget dont ils savent qu’il ne sera jamais exécuté et surtout d’ignorer délibérément d’en contrôler l’exécution par une loi de règlement porteront sans
conteste devant l’histoire, une très lourde responsabilité.
Mahamat nour Ibedou
Inspecteur principal du trésor ;
Secrétaire General de la Convention Tchadienne pour la Défense des Droits
Humains (C.T.D.D.H).